Prix ANDAM
Broyage et Anomalie, 1998
Quelles ont été vos motivations au moment de lancer votre marque ?
J’ai 22 ans quand voit le jour ma maison de mode éponyme : BALLU. Ce qui m’anime à l’époque c’est un puissant goût pour l'indépendance et l’expérimentation. Une sorte de jusqu'au boutisme aussi compulsif me portait, à la fois artistique et émotionnel, mais parfois en décalage avec les enjeux commerciaux. J’étais engagée de la tête au pied, acharnée, combative…et sans doute aveuglément insouciante. Kamasutra, Autostop et touristes, Les écorchés…mes collections étaient des histoires surréalistes : des histoires de désirs, de séduction, de sensualité épanouie, de provocation aussi, d’affirmation des droits de la chair sur l'esprit. Je choisissais minutieusement les lieux des défilés pour donner une âme spectaculaire à ces narrations éphémères : l’ancien Ministère des finances, la Poste du Louvre, le Foyer de la Madeleine, le Crazy Horse, ou le Cinéma du Drugstore… Ma dernière création fut une paire d’escarpins à talons aiguilles et en vernis noir, rehaussée d’écussons St Jacques de Compostelle. Comme un écho symbolique à mon cheminement intérieur : spirituel, fragile et exalté…
Quel souvenir marquant gardez-vous de l’année où vous avez remporté le prix ANDAM ?
Récompensée en janvier 1998 par le prix ANDAM, ma collection « Broyage et Anomalie » a défilé au Carrousel du Louvre dans le cadre scénarisé d’une installation artistique minimaliste : les mannequins se frayaient un chemin parmi les lames acérées de machines agricoles qui jonchaient le sol. Cette collection évoquait peut-être l’ambivalence et les questionnements implicites que soulevait cette fin de siècle, entre accélération et désorientation.
J’en garde les traces d’un moment d’une grande intensité, une profonde urgence personnelle à braver les contraintes, à transcender les modèles hégémoniques : à me libérer.
En quoi le prix ANDAM a-t-il compté pour vous et pour votre marque ?
Mon premier défilé était en 1995. L’ANDAM (1998) est venu éclairer mon chemin et l’encourager. J’y ai puisé toute l’énergie de prendre des risques, persévérer et porter sans concession 21 collections de vêtements et d’accessoires.
Quel a été votre parcours créatif depuis ? Que faites-vous aujourd’hui ?
Au fil des rencontres, j’ai cheminé dans ma vocation et accompagné d’autres maisons de mode. St James est la dernière en date et cette collaboration est l’occasion de capsules co-signées où l’on retrouve mon intérêt pour les lignes construites et les géométries épurées.
Actuellement, après avoir pris le temps d’archiver et documenter mes collections, je développe un nouveau projet artistique PARAVENTS : il s’inscrit dans la continuité de mes collections qui mettaient déjà en scène le vêtement en tant que métaphore d’un lien tangible entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’âme et le corps, en jouant des contraires : voilé-dévoilé, recto-verso. austérité-frivolité, froideur-sensualité, immobilisme-dynamisme… Je conçois donc une série de PARAVENTS, mi objets fonctionnels mi sculptures atemporelles, comme de nouvelles surfaces de projection des émotions, les supports de récits et d’expression, les reflets de ciels et de paysages intérieurs que la présence des corps circulant dans l’espace viennent cette fois habiter comme un tableau en diorama. Ces écrans verticaux qui isolent, masquent et protègent en cachant sont une invitation à vivre, avec le corps tout entier, cette expérience fondamentale, virtuelle et réelle, du dedans et du dehors : cette séparation physique entre deux réalités où l’on cherche à se projeter de l’autre côté de la toile, dans un monde inaccessible…
Je cherche des partenaires pour porter ce projet qui verra le jour en 2024, avis aux aventuriers !
Pourriez-vous partager une anecdote personnelle ou un souvenir insolite lié à l’une de vos collections ou à votre parcours de créatrice ?
Un défilé c’est forcément une folle aventure…
Je pense d’abord à la Cicciolina, Ilona Staller, égérie du cinéma X des années 80 et femme politique, alors en plein divorce avec Jeff Koons, qui accepte contre toute attente ma demande extravagante de figurer – tout de Ballu vêtue – sur le carton d’invitation de mon défilé. Elle m’ouvre la porte de son appartement à Rome, nous ne nous connaissons pas et notre complicité féminine est immédiate !
C’est un déjeuner au ‘Carrefour de l'Odéon’, à l'issue du défilé à l'Institut de l'Architecture : épuisée par les nuits sans sommeil, l’équipe s’endort à table…
Ou cet ange gardien que je ne connais que par téléphone, qui surgit en Harley, une main sur le guidon, l’autre agitant une clef, comme tombée du ciel, qui allait bientôt ouvrir le Barrio Latino, cet espace incroyable où j’ai défilé et que j’ai occupé -comme une utopie- pendant plusieurs semaines, à l’abri des regards, des enjeux et des pressions.
C’est aussi les déboires, multiples et impossibles à raconter autour de camions – souvent disproportionnés par rapport à ma taille – que je conduisais moi-même, pour accompagner jusqu'au bout les collections, de l’atelier aux podiums des défilés…
C’est enfin, le nouveau propriétaire du Crazy Horse que je convainc, à l’usure, d’accepter la mise à disposition du lieu et des danseuses pour présenter ma collection de maillots de bain. Il dira : Je n'ai jamais eu affaire à quelqu’un d’aussi têtu et persuasif que vous ! Nous ne nous sommes jamais rencontrés mais mon dernier défilé était au Crazy. Un point d’honneur pour moi.
Où vous projetez-vous dans dix ans ?
Mon médium Chou-François prévoit de grands changements dans les prochaines années et ma nature optimiste me pousse bien entendu à le croire… ! J’aime mener des projets qui débordent du cadre, qui me dépassent. Mon projet PARAVENTS qui interroge l’idée de cadrage saura-t-il déployer ce nouvel horizon… ?


